« Border Line », un film court et intense, comme un uppercut.
Vous étiez nombreux à nous suivre au terminal! Nombreux à avoir réagi avec fulgurance...
Merci d'avoir enrichi nos échanges.
Retour sur une séance à huis clos.
Une séance de rattrapage qui valait le détour.
Le détour par la zone de transit ? Après l’enthousiasme de s’envoler vers une nouvelle vie, les sensations évoluent. Désagrément, ennui, agacement, inquiétude, incompréhension, vertige, angoisse, étouffement… et tout se renverse.
Une
mise en scène efficace, en plans serrés, de plus en plus
rapprochés.
Nous sommes enfermés.
Enfermés avec Elena et Diego dans le taxi qui dit nous conduire vers la liberté, enfermés dans la veste où l’on cherche nos papiers, enfermés dans la file d’attente, sous le regard bienveillant d’un passager, enfermés sous celui du guichetier, et son ordinateur déjà inquisiteur… Dans cet étau qui se resserre patiemment, nous sommes dirigés dans l’entonnoir d’un long couloir à la lumière verdâtre, et aux bruits de martèlement, de bourdonnement de scies, aussi pénibles, douloureux et intérieurs que des acouphènes.
Pas d’arrière-plans, nous sommes centrés sur les émotions les plus humaines, les plus intimes, les plus anxiogènes…
Que se passe-t-il ? Pour combien de temps ? Pourquoi ? Pour quoi ? Pour qui ?
Une
image travaillée, une lumière participant à cette ronde malsaine,
une bande son précise et vivante…
Un
scénario rapide qui laisse de rares temps de respiration au spectateur
pour supporter la tension montante. Ou plutôt d’inspiration, seulement, bloquée : « j’ai un peu de temps, qu’est-ce
que je peux faire ? Vite, vite, vite ! »… Et tout
s’écroule. Aucune échappée, l’étau s’est encore resserré.
Une
mise en scène cinglante.
Des interprètes justes et qui savent faire évoluer leurs personnages. Bruna Cusí, dans le rôle d’Elena, mérite son Prix d’interprétation féminine, et Alberto Ammann (Diégo), ses nominations en tant que meilleur acteur. Une admiration toute particulière pour Laura Gómez (Agent Vasquez) qui joue à la perfection les mille facettes que lui imposent sa situation. (représentante-immigrée-de l'autorité-américaine)
« Border
Line »
résonne terriblement avec l'actualité... (le
retour de Trump,
la
situation des migrants,
la
précarité
du
monde si envahissante comme l’a souligné l’une d’entre
vous...)
Il
y aurait tant à dire… Avec peu de moyens, Vasquez et Rojas ont su
dire beaucoup !
(Céline)
Présentation et Analyse
Les Réalisateurs
Alejandro Rojas (né en 1976) et Juan Sebastián Vásquez (né en 1981), tous deux originaires de Caracas, vivent aujourd’hui à Barcelone. Rojas a débuté comme journaliste, producteur, et monteur de documentaires, tandis que Vásquez s’est formé en tant que producteur et directeur de la photographie pour des longs-métrages. « Border Line », leur premier film, puise son inspiration dans leurs expériences d’expatriés.
Distinctions
- Prix du public et Prix Police au festival Polar de Reims
- Meilleur premier film au Festival du film espagnol de Nantes
- Meilleur scénario aux Prix Feroz 2024
- Meilleur scénario original aux Prix Gaudí 2024
- Grand Prix du jury au Festival Premiers Plans d’Angers 2024
- Bruna Cusí, prix d’interprétation féminine à Angers
- Sidney Lumet (« Douze Hommes en colère », « Un après-midi de chien ») pour sa précision et son travail sur la tension.
- Les Frères Dardenne pour leur approche du tournage chronologique.
- Le rythme et l’atmosphère des thrillers sociaux des années 1970.
Un film à petit budget :
- Deux caméras permettent de filmer simultanément les questions et les réactions.
- Rares sont les plans larges, pour que notre concentration soit à la recherche de ce moindre regard qui trahit quelque chose.
- Une lumière centrale, fixe, accentue l’immersion et l’urgence.
- Une volonté de faire un film réaliste, sans mouvements de caméra ostentatoires pour faire sentir qu'on est au cinéma. On est assis dans cette pièce avec les personnages..
- La mise en scène n’oublie jamais d’impliquer les spectateurs, On nous laisse douter avec les personnages de la suite des événements. On sent aussi les personnages douter d’eux-mêmes et de leurs intentions, "... finalement : est ce qu’il triche ?"
- "Border
Line est un film de dialogues. Ce sont les dialogues qui guident le
découpage et les choix esthétiques. Un
découpage minutieux
et précis qui stimule constamment l’attention du spectateur...
Nous sommes embarqués !
- « Border Line » utilise les codes du "film de flic", avec les interrogatoires « bad cop/ good cop ».
L’action
se déroule principalement dans une salle d’interrogatoire d’un
aéroport, un espace liminal , espace de transition entre le dedans et le
dehors. Le huis clos renforce la tension :
l’exposition
a d’intéressant sa manière de présenter ses personnages, un
couple générique qui rencontre les mêmes soucis que chacun lors
de la préparation d’un voyage.
L’enfermement
est un thème récurrent, même en dehors de la salle
d’interrogation (appartement, taxi).
Cet
affrontement se fera en deux langues, américain et espagnol. Et même trois avec le catalan. La policière issue de
l’immigration leur parlera alternativement dans l'une ou l'autre, par surprise. La dualité entre ces deux langues est d’autant plus
forte qu’on leur somme de tout dire à l’oncle Sam, même le
plus intime, pour avoir la chance d’être accepté par la société
américaine.
Exemple
de tension immersive : la nervosité initiale de Diego se transforme
en suspicion sous l’intensité croissante de l’interrogatoire.
Les interrogatoires séparés déclenchent une méfiance réciproque
qui fissure le couple.
Bruna
Cusí livre une performance intuitive, incarnant un personnage
revendiquant ses droits face à l’adversité.
Alberto
Ammann (d’origine argentine) adopte un rôle introspectif, plus
discret que ses performances habituelles.
- Sa justesse des situations et son suspense implacable en 1h17.
- Son exploration des dynamiques de pouvoir et du racisme systémique.
- La manière habile de manipuler les codes du thriller pour impliquer le spectateur dans les doutes et les craintes des personnages.
Contexte
et Inspirations
Le film reflète les
conséquences émotionnelles de la violence bureaucratique, abordant
des thèmes de racisme ordinaire, d’abus de pouvoir, et de
vulnérabilité selon les origines. La politique migratoire de
l’Amérique trumpiste
sert de toile de fond.
Personnages
et Interprétations
Critiques et Ambiances
Le film a reçu beaucoup
de prix, certes, et il a été salué pour :
Le film est donc
politique car le simple fait de choisir de raconter cette histoire
l’est.
Il parle des dynamiques de
pouvoir, du harcèlement, des problèmes d’autorité, des endroits
où vous pouvez soudain vous sentir extrêmement vulnérable selon
vos origines, la méfiance que nourrissent certains envers vous selon
ces mêmes origines...
"Border Line" questionne l’humanité des procédures migratoires,
l’intrusion de la sphère privée, et la complexité des rapports
d’autorité. Les dialogues et le rythme soutenu contribuent à un
récit haletant, presque proche du thriller
psychologique. Par un regard accusateur sur les institutions, Rojas et Vásquez dénoncent des
pratiques universelles qui transcendent les frontières américaines :
- Des personnes qui peuvent décider de faire basculer des vies en quelques minutes, ou non, de façon très arbitraire.
- La psychose qui s’installe lorsque l’on découvre que la police a eu accès aux réseaux sociaux et papiers confidentiels du couple. Elle retrace leur vie, dévoile leurs secrets sous leurs yeux ébahis.
Que le film prenne place aux bordures américaines ne le rend pas centré sur l’Eden à l’Ouest, tant les obstacles que découvre ce couple auquel nous nous sommes attachés se retrouvent sur toutes les terres, plus encore aujourd’hui.(Jean)
Ah oui une belle découverte. Merci aux membres du Silencio d'avoir programmé cette séance. Le moment est bien choisi (involontaire?) avec les déclarations de certains hommes politiques.
RépondreSupprimerMerci à vous d'avoir participé à la séance et à la discussion.
RépondreSupprimerLe film a été choisi en septembre 2024, mais les déclarations actuelles ne datent pas d'hier...
Au plaisir de vous retrouver à notre prochaine séance! "Les Sentiers de la Perdition", de Sam Mendes, Jeudi 20 février, 20h, Cinéma Royal, Evian.