" J'ai réussi à être le dernier à Trincamp. Avec un peu d'ambition, j'arriverai à être le dernier à Paris.", dit-il avant de quitter la ville qui le chasse, une première fois, en lui retirant toute place sociale.
Car il sera chassé une deuxième fois. Jeté en prison.
Et enfin une troisième fois, avec le désir de l'y remettre. Pourtant cette troisième fois ne verra pas s'accomplir la finalité qui était programmée . C'est là que Perrin assouvira sa vengeance en inversant les rôles, et en jouant du talon d'Achille des habitants de Trincamp, gouvernés par la peur.
Emmanuel Carrère a dit: "Le foot est très populaire. Ici, c'est un milieu détestable."
Le football n'a pas souvent été le fond d'un film de cinéma. En 1984, Jean-Pierre Mocky réalise "A mort l'arbitre!" où des gens s'enflamment et utilisent le football pour leur réussite personnelle. Même combat...
Un parti pris du film donnant à réflexion...
3. Scénario et mise en scène
Le scénario de Francis Veber se construit ainsi, par la reprise de scènes récurrentes, avec une légère variation à chaque fois: la scène du poids lourd qui prend Perrin en stop étant la plus évidente. Mais aussi celle du serveur qui apporte les verres, celle de la prison... C'est un langage, une signature qui rythme la mise en scène de Jean-Jacques Annaud avec humour, et satire. On prend la première reprise avec amusement, la deuxième insiste sur le côté insolent et absurde, rebelle et décidé, raisonné de Perrin, de sa vengeance, la troisième (si troisième il y a) savoure, avec ironie.
La direction des acteurs, qui jouent ces personnages ridiculisés par l'aplomb de celui qu'ils ont banni, est renforcée par la reconnaissance des plans qui marquent le retournement des situations, souvent portées au paroxysme de l'absurdité. Les simples pions dont Perrin se joue en ont le vertige (le garçon d'étage, les conducteurs de poids lourds...)
4. Personnages, acteurs, actrices:
Le jeu de Patrick Dewaere et sa personnalité, qui passe de la douceur, la soumission apparente, à la violence, l'état survolté, répond au souhait de Jean-Jacques Annaud : travailler avec un comédien qui sache déstabiliser par la variété des registres visités, surprendre les spectateurs et les acteurs eux-mêmes. Lors de la scène du banquet, scène très improvisée, Dewaere a terrorisé tout le plateau par son explosion de colère. Il joue avec subtilité, avec tout son corps, avec son regard. Chacun de ses mouvements dit quelque chose de son personnage.
Robert Dalban joue le seul vieux "footeux" intelligent. On se prend de sympathie pour lui qui parle à Perrin avec gentillesse, tendresse même, quand tous les autres le traitent avec mépris. Le comique de son jeu est fin, il joue avec l'expression, le regard, le sourire, le corps. Il n'a pas beaucoup de dialogue, mais ses mots sont choisis avec simplicité et justesse.
Hubert Deschamps, le directeur de prison, joue de façon assez improvisée. La scène du retour de Perrin en devient absurde, car tout est renversé: le prisonnier libéré qui veut absolument réintégrer la prison, le directeur qui s'y oppose, le condamné qui s'accroche à la porte, le directeur qui le met à la porte. Le dialogue est également savoureux d'incohérence, et chacun joue son rôle à merveille.
Jean Bouise a obtenu, pour son rôle de président du club de football et patron de l'usine, le prix du meilleur second rôle. Il fait vivre son personnage par de petites choses, des petits gestes. Il joue un être intelligent mais règne sur son royaume comme sur une cour de serfs vils et serviles qu'il maîtrise et méprise au plus haut point. Imperturbable, manipulateur, il finit par être manipulé, poussé dans ses retranchements, acculé, par celui qu'il croyait écraser. Comment ne pas être plus perturbé?
Claude Gros, le garçon d'étage (et supporter au début du film), campe un personnage caricatural qui se prête tout à fait à la mécanique comique des scènes qu'il anime. Soit on grossit le trait, soit on réduit le personnage à une silhouette que l'on fait valser comme une balle de ping-pong perdue. D'abord enjoué, il est ensuite inquiet, puis totalement terrorisé... et c'est très drôle!
Les rôles de femmes "d'intérêt" font partie de la haute société (Mlle Lefèvre / France Dougnac, et Mme Sivardière/Corinne Marchand), comprennent les situations et s'en amusent. Les autres sont insignifiantes et reléguées à une condition bien réductrice (Marie/ Dorothée Jemma), voire ridicules (les épouses).
A la fin, les deux victimes s'associent: Perrin, victime de la société, et Mlle Lefèvre, victime de l'agression. Elle est la seule à lui donner une échelle, et c'est pour qu'il descende la rejoindre vers la vengeance et la liberté.
5. Image et son:
Jean-Jacques Annaud est un homme de cinéma. Il vient de la publicité où il a appris à soigner l'image, son esthétique. Ici, peu d'effets visuels. Mais une qualité plastique certaine: le film débute par 3 scènes aux panoramiques verticaux descendants, rappelant ainsi la verticalité de l'échelle sociale (échelle que l'on descend le long de l'immeuble!)
La musique est de Pierre Bachelet. On l'entend chanter une sorte d'hymne du club de Trincamp, tandis que celui-ci défile. La musique s'arrête, puis il siffle, et on entend la voix off. Les chants émanent de la foule, ils sont réalistes. Quand Bachelet siffle, la dimension est différente, intérieure, ce que nous confirme la voix off.
La première scène
La scène où Perrin travaille dans la rue avec les éboueurs est très poétique, tant par son sens, l'utilisation du son off, le choix des mots) que par son esthétique. Ce passage laisse un souvenir façon film noir, dont "Coup de Tête" semble emprunter le genre. A la fois très noir, il reste une comédie. C'est une fable, une satire sociale.
"J'ai voyagé dans toute l'Afrique, sans carte d'identité. Juste avec ma carte de chômeur." Voix off de François Perrin. Poésie assez sombre, teintée d'humour encore. Satire sociale, toujours.
Le son a son importance dans plusieurs scènes . Celle de la chambre avec le garçon d'étage qui revient pour la troisième fois: on ne voit pas le serveur qui tremble, mais on entend les verres s'entrechoquer! Celle de l'agression de Mlle Lefèvre: c'est parce qu'on ne reconnait pas la voix de Perrin que l'on sait qu'il est innocent. Celle de Perrin marchant sur le bord de la route: on entend une voiture arriver, en son off, on croit que c'est la police, il s'agit de la voiture de Mlle Lefèvre. Celle où le Président du club et ses sbires ramènent Perrin à la prison :"Ok! mais alors discrètement..." Tout semble calme et discret, mais la caméra panote et on découvre la foule des supporters en même temps que le vacarme s'amplifie...
Les exemples ne manquent pas!
La scène finale
Rappel de la scène initiale, parade de la victoire, commentée par la voix off de Perrin-Dewaere. Il était alors assis sur la voiture conduite par les dominants, qu'il écrasait, traversant la foule des dominés qui l'acclamaient.
Dans cette dernière scène, il remonte la même rue, à pieds, glaçant de peur tous ces mâles dominants, réduits à néant. Il ne leur fait rien, il avance. C'est sa vengeance. Sa vengeance qui se teinte de couleurs douces lorsque que la foule des "dominés" se transforme en farandole amicale. Elans de sympathie, de reconnaissance, humaine. C'est sans doute là, sa vraie vengeance.