vendredi 24 janvier 2025

"Border Line" Après la séance

 





« Border Line », un film court et intense, comme un uppercut.

Vous étiez nombreux à nous suivre au terminal!  Nombreux à avoir réagi avec fulgurance... 

Merci d'avoir enrichi nos échanges.

Retour sur une séance à huis clos. 

Une séance de rattrapage qui valait le détour.

Le détour par la zone de transit ? Après l’enthousiasme de s’envoler vers une nouvelle vie, les sensations évoluent. Désagrément, ennui, agacement, inquiétude, incompréhension, vertige, angoisse, étouffement… et tout se renverse.


Une mise en scène efficace, en plans serrés, de plus en plus rapprochés.
Nous sommes enfermés. 

Enfermés avec Elena et Diego dans le taxi qui dit nous conduire vers la liberté, enfermés dans la veste où l’on cherche nos papiers, enfermés dans la file d’attente, sous le regard bienveillant d’un passager, enfermés sous celui du guichetier, et son ordinateur déjà inquisiteur… Dans cet étau qui se resserre patiemment, nous sommes dirigés dans l’entonnoir d’un long couloir à la lumière verdâtre, et aux bruits de martèlement, de bourdonnement de scies, aussi pénibles, douloureux et intérieurs que des acouphènes.

Pas d’arrière-plans, nous sommes centrés sur les émotions les plus humaines, les plus intimes, les plus anxiogènes… 

Que se passe-t-il ? Pour combien de temps ? Pourquoi ? Pour quoi ? Pour qui ?


Une image travaillée, une lumière participant à cette ronde malsaine, une bande son précise et vivante…
Un scénario rapide qui laisse de rares temps de respiration au spectateur pour supporter la tension montante. Ou plutôt d’inspiration, seulement, bloquée : « j’ai un peu de temps, qu’est-ce que je peux faire ? Vite, vite, vite ! »… Et tout s’écroule. Aucune échappée, l’étau s’est encore resserré.


Une mise en scène cinglante. 

Des interprètes justes et qui savent faire évoluer leurs personnages. Bruna Cusí, dans le rôle d’Elena, mérite son Prix d’interprétation féminine, et Alberto Ammann (Diégo), ses nominations en tant que meilleur acteur. Une admiration toute particulière pour Laura Gómez (Agent Vasquez) qui joue à la perfection les mille facettes que lui imposent sa situation. (représentante-immigrée-de l'autorité-américaine)


« Border Line » résonne terriblement avec l'actualité... (le retour de Trump, la situation des migrants, la précarité du monde si envahissante comme l’a souligné l’une d’entre vous...)
Il y aurait tant à dire… Avec peu de moyens, Vasquez et Rojas ont su dire beaucoup !
(Céline)

Présentation et Analyse      

    Les Réalisateurs

Alejandro Rojas (né en 1976) et Juan Sebastián Vásquez (né en 1981), tous deux originaires de Caracas, vivent aujourd’hui à Barcelone. Rojas a débuté comme journaliste, producteur, et monteur de documentaires, tandis que Vásquez s’est formé en tant que producteur et directeur de la photographie pour des longs-métrages. « Border Line », leur premier film, puise son inspiration dans leurs expériences d’expatriés.

        Distinctions

  • Prix du public et Prix Police au festival Polar de Reims
  • Meilleur premier film au Festival du film espagnol de Nantes
  • Meilleur scénario aux Prix Feroz 2024
  • Meilleur scénario original aux Prix Gaudí 2024
  • Grand Prix du jury au Festival Premiers Plans d’Angers 2024
  • Bruna Cusí, prix d’interprétation féminine à Angers
Parmi les références majeures :
  • Sidney Lumet (« Douze Hommes en colère », « Un après-midi de chien ») pour sa précision et son travail sur la tension.
  • Les Frères Dardenne pour leur approche du tournage chronologique.
  • Le rythme et l’atmosphère des thrillers sociaux des années 1970.
        Mise en Scène

Un film à petit budget :

  • Deux caméras permettent de filmer simultanément les questions et les réactions.
  • Rares sont les plans larges, pour que notre concentration soit à la recherche de ce moindre regard qui trahit quelque chose.
  • Une lumière centrale, fixe, accentue l’immersion et l’urgence.
  • Une volonté de faire un film réaliste, sans mouvements de caméra ostentatoires pour faire sentir qu'on est au cinéma. On est assis dans cette pièce avec les personnages..
  • La mise en scène n’oublie jamais d’impliquer les spectateurs, On nous laisse douter avec les personnages de la suite des événements. On sent aussi les personnages douter d’eux-mêmes et de leurs intentions, "... finalement : est ce qu’il triche ?"
  • "Border Line est un film de dialogues. Ce sont les dialogues qui guident le découpage et les choix esthétiques. Un découpage minutieux et précis qui stimule constamment l’attention du spectateur... Nous sommes embarqués !
  • « Border Line » utilise les codes du "film de flic", avec les interrogatoires « bad cop/ good cop ».
        Huis Clos

L’action se déroule principalement dans une salle d’interrogatoire d’un aéroport, un espace liminal , espace de transition entre le dedans et le dehors. Le huis clos renforce la tension :
l’exposition a d’intéressant sa manière de présenter ses personnages, un couple générique qui rencontre les mêmes soucis que chacun lors de la préparation d’un voyage.
L’enfermement est un thème récurrent, même en dehors de la salle d’interrogation (appartement, taxi).
Cet affrontement se fera en deux langues, américain et espagnol. Et même trois avec le catalan. La policière issue de l’immigration leur parlera alternativement dans l'une ou l'autre, par surprise. La dualité entre ces deux langues est d’autant plus forte qu’on leur somme de tout dire à l’oncle Sam, même le plus intime, pour avoir la chance d’être accepté par la société américaine.
Exemple de tension immersive : la nervosité initiale de Diego se transforme en suspicion sous l’intensité croissante de l’interrogatoire. Les interrogatoires séparés déclenchent une méfiance réciproque qui fissure le couple.
Bruna Cusí livre une performance intuitive, incarnant un personnage revendiquant ses droits face à l’adversité.
Alberto Ammann (d’origine argentine) adopte un rôle introspectif, plus discret que ses performances habituelles.

  • Sa justesse des situations et son suspense implacable en 1h17.
  • Son exploration des dynamiques de pouvoir et du racisme systémique.
  • La manière habile de manipuler les codes du thriller pour impliquer le spectateur dans les doutes et les craintes des personnages.
        Réflexion Sociale et Politique

        Contexte et Inspirations

Le film reflète les conséquences émotionnelles de la violence bureaucratique, abordant des thèmes de racisme ordinaire, d’abus de pouvoir, et de vulnérabilité selon les origines. La politique migratoire de l’Amérique trumpiste sert de toile de fond.

        Personnages et Interprétations

        Critiques et Ambiances

Le film a reçu beaucoup de prix, certes, et il a été salué pour :

Le film est donc politique car le simple fait de choisir de raconter cette histoire l’est.
Il parle des dynamiques de pouvoir, du harcèlement, des problèmes d’autorité, des endroits où vous pouvez soudain vous sentir extrêmement vulnérable selon vos origines, la méfiance que nourrissent certains envers vous selon ces mêmes origines...

"Border Line" questionne l’humanité des procédures migratoires, l’intrusion de la sphère privée, et la complexité des rapports d’autorité. Les dialogues et le rythme soutenu contribuent à un récit haletant, presque proche du thriller psychologique. Par un regard accusateur sur les institutions, Rojas et Vásquez dénoncent des pratiques universelles qui transcendent les frontières américaines :

  • Des personnes qui peuvent décider de faire basculer des vies en quelques minutes, ou non, de façon très arbitraire.
  • La psychose qui s’installe lorsque l’on découvre que la police a eu accès aux réseaux sociaux et papiers confidentiels du couple. Elle retrace leur vie, dévoile leurs secrets sous leurs yeux ébahis.
Critique acerbe d’un système de plus en plus sournois, où la vie privée n’a pas lieu d’être quand on est d’ailleurs, « Border Line » nous laisse sous le choc, avec un goût amer. 
Que le film prenne place aux bordures américaines ne le rend pas centré sur l’Eden à l’Ouest, tant les obstacles que découvre ce couple auquel nous nous sommes attachés se retrouvent sur toutes les terres, plus encore aujourd’hui.(Jean)



vendredi 17 janvier 2025

Le Silencio a vu : Vingt Dieux! Louise Courvoisier (2024)


 Vingt Dieux, Louise Courvoisier (2024)

Un scénario maîtrisé et servi par des acteurs plus vrais que nature, 

Une mise en scène simple et efficace,

Une image qui sublime les paysages du Jura comme les portraits des personnages (lumière et cadrages excellents), 

Une musique composée et interprétée par les parents de la réalisatrice,

Une connaissance intime des lieux et de la vie qui s'y mène...

Un véritable témoignage à travers une fiction criante de vérité...🤩🤩🤩

... font de ce premier film une grande réussite! 

A voir absolument! 

Céline


Séance de rattrapage: Border Line - Juan Sebastian Vasquez et Alejandro Rojas(Espagne 2023, France 2024)




Vous réfléchirez avant de passer la frontière...
 

 Pleins d'enthousiasme pour démarrer une nouvelle vie, Diego et Elena décident de quitter Barcelone pour les Etats-Unis. La Police des Frontières quant à elle, montre beaucoup moins d'entrain à les y laisser entrer...

 Un thriller palpitant et surprenant, où la tension joue sur la corde sensible d'une culpabilité insoupçonnée. 

 Récompensé par le Prix du public et le Prix Police (Reims Polar 2023), le meilleur scénario (Prix Feroz 2024), le meilleur scénario original (Prix Gaudi 2024), Border Line a également été nominé dans plusieurs catégories de différents festivals, dont meilleur acteur pour Alberto Ammann aux prix Feroz 2024, Prix Gaudi 2024 et Prix Goyas 2024, ce dernier l'ayant aussi retenu pour la catégorie meilleur réalisateur.

Prêts à embarquer?

Jeudi 23 Janvier 2025 à 20h au Cinéma Le France à Thonon

Le Silencio a vu " "La plus précieuse des marchandises", Michel Hazanavicius, 2024

 Délicatesse et poésie de la narration d'un conte qui dévoile la cruelle vérité historique cachée par la forêt.   Délicatesse et poésie du dessin silencieux qui nous fait tendre l'oreille pour écouter battre le cœur des "sans-cœurs".
 Délicatesse et poésie de l'usage d'oeuvres d'artpour crier à l'horreur mais avec pudeur.
 Délicatesse et poésie d'une fin ouverte vers la réalité d'un lendemain possible. 

 Merci Michel Hazanavicius (Céline)

Le Silencio a vu "Personne n'y comprend rien" de Yannick Kergoat, 2025

Personne n'y comprend rien. (Yannick Kergoat, 2025 )

 Courez voir le film produit par Médiapart sur le financement présumé de la campagne de Sarkozy par Kadhafi! 

Remarquable de travail et de finesse d'analyse. 
 Le titre du film "Personne n'y comprend rien" est une déclaration de Nicolas Sarkozy. Pourtant le film explique les 10 ans d'enquête, d'étude de documents, d'interviews de personnages troubles et de spécialistes en graphologie. C'est passionnant. Les preuves s'ajoutent les unes aux autres pour constituer un système de corruption avec sociétés écrans, porteurs de valises de billets, comptes bancaires dans les paradis fiscaux, achats de tableaux à prix astronomiques... Un échafaudage parfait que Mediapart et le parquet financier ont démonté. Le faisceau d'indices est concordant. Le procès commence et va durer 4 mois. La suite dans les journaux.

 Le film sort pour l'instant dans peu de salles et Le France à Thonon en fait partie. Précipitez-vous pour aller voir un film haletant. 
Un document qui complète le cycle Film Noir Du Silencio Club Ciné, sauf que, là, c'est réel. 
Jean-Pierre.

mercredi 8 janvier 2025

Le Silencio a vu "Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles" de Chantal Akerman (1976)

"Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles" de Chantal Akerman (1976)
. Drame franco-belge, considéré récemment comme le meilleur film de tous les temps par un magazine américain. 3h20 de plans fixes (une vingtaine peut-être) pour retracer 3 jours de la vie répétitive de cette veuve avec ado. De longs plans pour voir Delphine Seyrig faire son lit, la cuisine, se prostituer une fois par jour, faire ses courses, nettoyer... Puis le deuxième jour il y a de subtils dérèglements et encore plus dans le troisième. Franchement j'avais hésité à l'enregistrer mais c'est époustouflant de maîtrise formelle et d'idées sur l'absurdité de notre condition, ici celle d'une femme. Je ne sais pas si c'est le meilleur film, mais c'est une expérience de cinéma que je vous recommande. Très vite, on s'aperçoit du malaise et on cherche les changements. On est en 1975 et c'est précurseur aussi des téléréalités en filmant une personne dans sa vie, avec les phrases banales et les tâches quotidiennes répétitives. Je comprends que ce film ait fasciné. Et comme on a vu plein de films dans lesquels il va arriver quelque chose de grave, on attend, on attend, on attend et.... Je n'éplucherai plus mes pommes de terre de la même façon. (Jean-Pierre)