dimanche 27 juillet 2025

La Palme d'or 2025 à Evian "Un simple accident" de Jafar Panahi


 
Le Cinéma Royal d'Évian accueille en avant-première la Palme d'Or 2025 de Cannes : "Un simple accident" de Jafar Panahi

Évian-les-Bains a eu l'honneur d'accueillir une projection exceptionnelle du film "Un simple accident" de Jafar Panahi, Palme d'Or du Festival de Cannes 2025, au cinéma Royal. Cet événement a été rendu possible grâce à Philippe Martin, evianais de naissance et producteur de cinéma (fondateur des Films Pelléas). Prévue pour une sortie nationale le 1er octobre 2025, cette avant-première a offert aux habitants d'Évian le privilège de découvrir le film près de trois mois avant sa sortie officielle.

La salle comble a rassemblé Philippe Martin, Madame Josiane Lei (Maire d'Évian), des représentants du ciné-club "Le Silencio" (président Jean Guillard), et surtout une foule de cinéphiles impatients de découvrir l'œuvre du célèbre cinéaste iranien. (100 spectateurs!) 

I. Un cinéaste sous pression, une œuvre clandestine

Philippe Martin a introduit le film en soulignant le parcours mouvementé de Jafar Panahi. Réalisateur de renommée internationale, Panahi a fait face à de nombreuses persécutions en raison de son travail. En 2010, il a été arrêté et condamné à six ans de prison, assortis d'une interdiction de vingt ans d'exercer toute activité artistique, de parler aux journalistes et de voyager. Malgré ces restrictions, il a continué à tourner des films en secret. Ses œuvres ont été saluées par de multiples distinctions, dont un Ours d'Or à Berlin, un Lion d'Or à Venise, et désormais la Palme d'Or à Cannes.

En 2022, Panahi a été de nouveau emprisonné à la prison d'Evin. Cependant, un an après sa libération, toutes ses peines ont été levées, lui permettant à nouveau de voyager et de réaliser des films, même si ces derniers ne sont pas officiellement autorisés par le régime iranien.

II. Un tournage clandestin semé d'embûches

Philippe Martin a accepté de produire le nouveau film de Panahi, dont le financement a été assuré par le réalisateur lui-même avant l'achat des droits par la production après le tournage. Le tournage s'est déroulé dans la plus grande clandestinité. Malgré les précautions, la police a fait irruption sur les lieux, interrompant la production et saisissant la caméra. Heureusement, les rushs, stockés sur un ordinateur non confisqué, ont été épargnés. La caméra a finalement été restituée, sans qu'aucune image n'ait été perdue.

Les acteurs, notamment l'actrice principale, ont subi des interrogatoires prolongés de la part de la police iranienne, qui cherchait à connaître le sujet du film. Toutefois, Jafar Panahi ne fournit jamais de scénario complet à ses acteurs, ce qui leur a permis d'expliquer qu'ils ne connaissaient que les scènes qu'ils avaient tournées. Cette stratégie a contribué à les protéger des pressions du régime.

Le film a été transporté en France en plusieurs fragments par diverses personnes afin d'éviter qu'une seule personne ne détienne la totalité du métrage. Une fois en France, le montage et la post-production ont été finalisés.

III. Échanges avec le public après une projection émouvante

Après la projection, accueillie par de vifs applaudissements, Philippe Martin a volontiers répondu aux questions du public.

 Il a précisé que la quasi-totalité du film avait été tournée en Iran. Seule la première scène a dû être filmée dans un garage en France avec un fond vert pour simuler des extérieurs. L'équipe de tournage était très réduite (moins de dix personnes), et la planification se faisait au jour le jour pour minimiser les risques. Jafar Panahi informait son équipe seulement la veille pour le lendemain.

La situation des acteurs reste incertaine. Bien qu'ils n'aient pas rencontré de problèmes majeurs à leur retour en Iran, le risque d'arrestation demeure constant. Malgré leurs visas de voyage, des listes quotidiennes dans les aéroports peuvent les empêcher de quitter le territoire à tout moment.

La distribution du film a été menée dans la plus grande discrétion, le producteur ayant cherché à garder le secret sur le film le plus longtemps possible. Le montage lui-même a été un défi : Panahi réalisait les coupes depuis l'Iran et les envoyait via WhatsApp à un collaborateur en Grèce. Les images étaient ensuite systématiquement détruites du téléphone de Panahi pour éviter toute saisie.

Jafar Panahi est le seul réalisateur vivant à avoir remporté la Palme d'Or à Cannes, un Ours d'Or à Berlin (Taxi Téhéran, 2015) et un Lion d'Or à Venise (Le Cercle, 2000). Il n'a quoiqu'il en soit aucune intention de s'exiler, considérant l'Iran comme son pays.

Le film ne devrait pas être distribué officiellement en Iran en raison de l'absence d'autorisation. Sa diffusion se fera d'abord à l'échelle internationale, puis il circulera (si ce n'est déjà le cas) de manière officieuse via Internet en Iran.

IV. Le rôle du producteur et l'aventure cannoise

Des questions sur le rôle du producteur ont également été abordées. Philippe Martin a expliqué que, s'il lui arrive de suggérer un réalisateur pour un projet, "Un simple accident" est une œuvre entièrement portée par Jafar Panahi. Même le "final cut", un concept plus américain, a réservé une surprise à Philippe Martin, puisque Panahi a choisi de modifier la fin du film au dernier moment. Cet exemple illustre la liberté totale accordée au réalisateur et la confiance du producteur envers son metteur en scène. Pour Philippe Martin, la qualité du réalisateur est primordiale, car un cinéaste talentueux peut transcender un scénario moyen, l'inverse n'étant pas vrai.

Lorsque le film a été sélectionné à Cannes, des coupes supplémentaires étaient nécessaires (le film durait initialement plus de deux heures). Panahi ne voyant pas comment procéder, Philippe Martin a fait appel à une monteuse de renom (Juliette Welling, fidèle de Jacques Audiard) qui a réussi à raccourcir l'œuvre d'environ 20 minutes sans en compromettre l'intégrité. La durée finale est de 1h42, et aucune version longue ne sera proposée.

La présentation du film à Cannes a représenté un travail d'organisation colossal pour Philippe Martin, une tâche de presque trois mois condensée en deux jours. Chaque détail est minuté : la montée des marches, les interviews, la projection etc. Les retours de la critique internationale sont quasi immédiats : une demi-heure après la projection, Philippe Martin savait que le film avait été très bien reçu, suscitant l'intérêt des distributeurs. La projection du soir, destinée au public, est tout aussi cruciale, car elle valide l'accueil du film par les spectateurs. Philippe Martin a témoigné de films présentés à Cannes qui ne génèrent pas les réactions attendues, une épreuve difficile pour les équipes. Ce ne fut heureusement et evidemment pas le cas pour "Un simple accident".

Jafar Panahi a pu se rendre à Cannes avec le reste de l'équipe. Il a été souligné qu'il n'existe pas d'influence réelle possible sur le jury de Cannes. Cependant, la présence de Juliette Binoche, en tant que présidente du jury, très sensible à la situation en Iran et aux défis rencontrés par les réalisateurs iraniens, était un signe positif. L'attente de la délibération finale est toujours un moment d'intense angoisse : même si un prix est annoncé, la nature exacte de la récompense reste inconnue, et une Palme d'Or fait une différence majeure comparé à un Prix du Jury, par exemple.

Après Cannes, Panahi a présenté son film à Sydney avant de finalement rentrer en Iran fin juin / début juillet 2025. La question de savoir si le film poursuivra sa carrière avec une sélection aux Oscars reste ouverte, ce qui impliquerait une gestion très différente de celle du Festival de Cannes.

Un grand merci à Philippe Martin d'être venu présenter en avant-première au Cinéma Royal à Evian, sa ville d'origine, l'œuvre de Jafar Panahi, qu'il a produite avec passion et conviction.
"Un simple accident", Palme d'or du Festival de Cannes 2025, restera un film événement dans la mémoire du cinéma d'Evian !


mardi 24 juin 2025

Le Dauphiné Libéré salue les lauréats du concours


 Le Palmarès est dévoilé!

  • Prix culottes Courtes pour Eliott et Judith Paccard: "Les Minions"

Du haut de leurs 6 et 8 ans ces deux cinéastes en herbe ont pris conscience du plaisir qu'ils avaient connu à la réalisation de leur film, tout comme des difficultés rencontrées: "la pâte à modeler devenait toute sèche et ça faisait tout craquelé! C'était long, mais c'était obligé, et Maminou à la fin ne prenait plus assez d'images alors la voiture tombait trop vite, mais c'est super on va passer à la radio!!!" 

Un témoignage aussi professionnel que leur court-métrage! Bravo!


                                                         

  • Prix Mike et Jerry pour Mélodie Bal et son équipe: "La Cité de la Peur"

Avec une touchante humilité, Mélodie a su remercier toute son équipe, et mettre surtout en avant son plaisir (leur plaisir!) d'avoir participé pour la 2nde fois (et remporté à nouveau le prix Mike et Jerry!). Elle y a trouvé l'énergie de travailler à plusieurs dans un grand enthousiasme, énergie qu'elle développe depuis un certain temps puisqu'elle a déjà plusieurs films à son actif, avec le même groupe d'amis:

Eden, dont voici un lien vers la bande-annonce: "Eden" de Mélodie Bal, Trailer

Midsommar récompensé par le prix Mike et Jerry 2024: Midsommar de Mélodie Bal

La fille aux yeux célestes, en cours de réalisation. la fille aux yeux célestes, de Mélodie Bal

Une équipe pleine de promesses, que nous sommes heureux de soutenir à notre façon!

Outlooks Production

Instagram outlooks production

  • Prix du Jury pour Sacré Graal, version suédée, pour Etienne Olivo Casasola (et non Casasoli!)
Un film réalisé en  toute hâte, le temps d'un week-end durant lequel une fratrie se retrouvait. Bravo à tous pour l'excellence de la reprise du film, l'humour qui s'en dégage qui n'a rien à envier à Terry Gilliam (ou presque!) Comme quoi, le temps ne fait rien à l'affaire!



Les mentions spéciales décernées par le jury sont loin d'avoir été volées:
  • Cédric Sylvestre (Fleur d'épine adapté de "La Belle Au Bois Dormant") a fait preuve d'une grande maîtrise technique et de réalisation. Il a cherché à rester au plus proche du dessin animé original, avec des prises de vue réelles (bravo aux actrices d'ailleurs!) parcourues par des effets spéciaux impressionnants (la petite lumière verte  hypnotisant la belle notamment). Son équipe s'est donné beaucoup de moyens au niveau des décors, des costumes. 


Fidèle, enthousiaste et créative, plusieurs membres de cette équipe l'avaient déjà accompagné pour son premier court-métrage "Examen 42", présenté au Nikon Films Festival 2025: 

Lumière bros Legagy


Nous souhaitons à Cédric une belle continuité de production, ce dont nous ne doutons pas! Et comptons bien le revoir participer à notre concours!
  • Jeanne Charmot (Chicken Re-Run, adapté de Chicken Run) nous a séduit pour sa créativité, sa poésie... Réécrire un film d'animation avec un autre type d'animation mêlant marionnettes et jeu d'acteurs en chair et en os avec une telle qualité permet de donner libre court à l'imagination de mille futurs réalisateurs! Les barrières sont franchies, à chacun de s'y mettre!
                                        
Réalisation créée dans le bonheur serein d'une famille pleine de ressources, nous espérons que Les Charmot continueront de nous charmer longtemps!
  • Ethan Vinay (My wonderful Boy, adapté du film éponyme) a su nous émouvoir avec une réalisation humble et poignante. Déjà réalisateur de plusieurs courts-métrages, ce jeune collégien montre que le talent n'a pas d'âge, et qu'un défi permet de mettre à contribution tout son potentiel. D'un univers plutôt "film d'horreur", il s'est surpris lui-même en se laissant convaincre par son comédien Anthony Bonnevie , accompagné de son frère Ilan Vinay (tous deux lycéens) afin de traiter un sujet d'importance sociale forte 
"La drogue, en parler c'est déjà agir". 

                                         



  • Jean-Pierre Burnet (Jean Milhomme, 23 quai Paul Léger 74500 Evian) est un savoureux hommage à "Jeanne Dielman 23 commerce 1080 Brussels" cette œuvre de Chantal Ackerman considéré comme le meilleur film de tous les temps. A nous les frites!

Toutes les autres réalisations avaient leur intérêt, et surtout en commun la joie d'avoir mené un projet motivant et riche en émotions gratifiantes. Nous espérons que cette séance aura donné à chacun le plaisir d'avoir partagé leurs créations, et l'envie de recommencer!

Merci donc à

     La Maison Pour Tous Evian pour "Le Cass'ting"

                                           


                                                    
Alicia Martignière pour "Very Bad Trip"
    
                                                

                                                   Miya Keddari pour "La Comtesse de La Versoie"

           

                                                            Lou-Anne Boucaud pour "La La Land"

                                              
    
                Alaïs Besson et Inès Bel pour "A nous deux"

                                               

           

                Adrien Hue pour "La Tour Montparnasse Infernale"

                                              

                                              Artesa Rexhepaj pour "Raiponce Nouvelle Génération" 

                                              


Nous vous attendons tous! Nul besoin d'attendre pour vous projeter, le compte à rebours est lancé!

Merci encore et bel été! Et n'hésitez pas à partager!






lundi 23 juin 2025

La Presse en parle! Remise des prix du Concours de courts-métrages amateurs 5mn pour ton grand film 3ème édition 21 juin 2025



    Fête de l'été, fête de la musique, ce 21 juin 2025 aura aussi été une fête du cinéma à Evian.
    Le Silencio Club Ciné a projeté au Cinéma Royal les 14 films ayant candidaté pour le concours de courts-métrages amateurs "5 mn pour ton grand film" 3ème édition.
    Plus de 70 spectateurs sont venus les applaudir dans une ambiance joyeuse et bienveillante. Des équipes de tous âges, de tous horizons du Chablais ont offert à un public conquis tout un panel d'émotions. Le rire était au rendez-vous!
  • Prix Culottes Courtes décerné aux jeunes Judith et Eliott Paccard pour "Les Minions"
  • Prix Mike et Jerry attribué à l'équipe de Mélodie Bal pour "La Cité de la Peur"; (équipe déjà récompensée en 2024 pour "Midsommar"!)
  • Prix du Jury attribué à "Sacré Graal -version suédée" de Etienne Olivo-Casasola
Beaucoup d'humour cette année dans le choix des films, et dans leur réalisation. 
Mais pas seulement. 
Plusieurs films méritaient d'être encouragés, le jury a donc choisi d'ajouter trois mentions: 
  • Mention "qualité technique exceptionnelle" pour "Fleur d'Epine" de Cédric Sylvestre
  • Mention "qualité créative" pour "Chicken-re-run", de Jeanne Charmot
  • Mention "audace thématique" pour "My Beautiful Boy" de Ethan Vinay, aidé par Ilan Viney et Anthony Bonnevie
+ Mention spéciale du président  "audace de suéder Le Plus Grand Film du Cinéma" (décernée à Jean-Pierre Burnet pour "Jean Milhomme, 23 quai paul Léger, 74500 Evian" son adaptation de "Jeanne Dielman, 23quai du commerce, 1080 Bruxelles, de Chantal Ackerman)

2 places sont offertes par le Cinéma Royal pour chaque équipe ayant candidaté, valables au cinéma d'Evian ou celui de Douvaine.
Les films primés sont récompensés par des bons d'achats valables dans les commerces d'Evian, grâce à une subvention de la ville d'Evian.

Nous remercions chaleureusement les membres du jury pour leur regard avisé permettant de départager les talents émergeants: Laurent Le Forestier, professeur de cinéma à Lausanne, Samuel Maïon-Fontana, vidéaste, Sonia Laden, artiste plasticienne et musicienne, créatrice du visuel du concours et Tania Roux.

Samuel Maïon-Fontana annonce l'événement Evian Doc Fest: un appel à réalisation de documentaires au format court qui seront présentés les 27 et 28 septembre. Renseignements au Cinéma Royal Evian. eviandocfest.com

Merci à tous, et rendez-vous pour la 4ème édition!
Silence on tourne! 

Céline Vergori, pour le Silencio-club-ciné
 

Etienne OLIVO-CASASOLA / Prix du Jury- Sacré Graal, version suédée
Noam TESSON-Mélodie BAL / Prix Mike et Jerry  - La Cité de la Peur
Eliott et Judith Paccard / Prix Culottes Courtes -Les Minions
Laurent LE FORESTIER Professeur de cinéma à Lausanne
Samuel MAÏON-FONTANA Vidéaste
Tania ROUX Projectionniste du Cinéma Royal
Sonia LADEN Artiste plasticienne et musicienne, créatrice du visuel du concours


 

samedi 14 juin 2025

Cycle Vengeance: Revenge, Susanne Bier (2010)


Pour clore le cycle "Vengeance, le ciné-club Silencio a choisi "Revenge", de Susanne Bier.

D'un côté des garçons aux familles disloquées et au quotidien brutal cherchent dans la vengeance une réponse à la violence qu'ils subissent.
De l'autre, un père confronté aux horreurs de la guerre préfère y répondre d'une autre manière.

Un film récompensé par de nombreux prix, dont le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère 2010.

Colère et tristesse, haine et amour, désir de vengeance et conflit du pardon.
Une explosion de remises en questions, une explosion d'humanité, servie par des acteurs remarquables et une mise en scène maîtrisée;

Ne le manquez pas!

Vous profiterez des éclairages édifiants  qu'Abderrahmane Bekiekh nous apporte à chacune de ses analyses, grâce à ses compétences universitaires. 
 

lundi 19 mai 2025

Après La séance: Les Diaboliques, H.G. Clouzot, 1955.


     Une séance du cycle "Vengeance" qui a réuni un public de curieux, amateurs de suspense et attirés par la thématique, ainsi que de cinéphiles avertis, venus voir ou revoir avec un réel plaisir ce chef d'œuvre sur grand écran. 


    L'ambiance humide et glaçante, le talent de Simone Signoret, Véra Clouzot et  Paul Meurisse, les scènes en contrepoints portés par des seconds rôles notables, le scénario qui enlise nos certitudes dans le tourbillon d'un siphon insalubre, la fin ouverte, l’hypothèse d'une manipulation encore plus machiavélique que pressentie dès le début du film... tout çela et bien plus encore, c'est du grand art! 

Nous tenterons de ne rien révéler qui puisse dévoiler la trame. 
Mais nos échanges après la projection nous ont aidé à sortir la tête de l'eau. Faisons le point!

        I. Le film

 A. A l'origine:

    Le film est tiré du roman  "Celle qui n'était plus", du tandem Boileau-Narcejac.  Son deuxième titre, "Les Diaboliques" sera préféré au premier pour son caractère plus énigmatique, premier artifice "d'inconfort" pour les spectateurs.
    Véra lut le roman, à l'injonction de son mari. Elle lui rendit la pareille, afin qu'il le porte à l'écran. Le réalisateur de "La Vérité", "Le Corbeau", "Le Salaire de la Peur", etc. trouverait en le lisant un terrain de jeu tel qu'il les aimait pour malmener les nerfs du public. 
    Henri-Georges Clouzot s'éloigna quelque peu de la trame de départ. A l'origine, c'est l'épouse d'un représentant de commerce qui est assassinée par son mari, sous l'influence de sa maîtresse, afin que l'assurance-vie de la défunte revienne au couple adultère.

    "Celle qui n’était plus" se révèle être un thriller psychologique quasi fantastique où les doutes et les remords d’un homme le font sombrer peu à peu dans une solitude inquiétante et lui font sensiblement perdre pied face à la réalité.
    Noyée dans les deux histoires, la victime disparait, posant la question de sa mort effective. 
    Pourtant, la configuration choisie par Clouzot est plus perverse et surprenante: son scénario unit deux femmes dans l'adversité pour mettre fin aux jours de celui qui les fait toutes deux souffrir. 
    La richesse des retournements nous donne le vertige, jusqu' à la dernière minute. Quel est le véritable mobile? L'argent? L'amour? La haine?   La réponse n'est pas si simple.

B. Le genre en question:

    On retrouve des caractéristiques du film noir: des personnages ciselés, aux personnalités bien définies, qui se rapprochent au fur et à mesure du film vers une voie sans issue, noyée; une enquête, davantage menée par nous, ou plutôt Clouzot, que par le commissaire en retraite qui apparaît presque à la fin.
Mais les faits étranges inexpliqués, les apparitions-disparitions, les effets visuels, le rôle des enfants ne s'accordent pas avec le ton dramatique des films noirs. 
    Film policier? L'enquêteur ne résout rien. Est-ce un complice de Mme Delasalle? Un curieux avide de mystères à résoudre? Son apparition semble bien fortuite. 
    Horreur? Exceptés les yeux révulsés de Michel (Paul Meurisse), qui s'avèrent très rapidement être un stratagème pour effrayer Christina (Véra Clouzot), la peur grandissante est plus liée par des faits inexplicables que par des éléments repoussants. 
    Thriller psychologique? A n'en pas douter. La directrice est mise à rude épreuve, (et jusqu'où?) . Quant à nous, nous sommes de plus en plus tendus.
    Fantastique? Tous les faits étranges finissent par être expliqués... Tous? Non. Le trouble ne nous quittera pas. Et si...?

Ponctué de scènes décalées, voire humoristiques que Michel Serrault (un professeur), Jean Lefèbvre (le soldat ivre), Charles Vanel (le commissaire à la retraite), Noël Roquevert (le locataire râleur), Jean Brochard (le concierge de l'institut) ... servent avec excellence, ce film est inclassable.
 C'est aussi ce qui en fait sa force!

C.Côté mise-en-scène

  1   Ouverture:

Le générique commence sur une image énigmatique. Gros plan sur une étendue  stagnante légèrement mouvante, opaque, tachetée...  L'ambiance est donnée. L'eau d'une piscine abandonnée, oubliée...idéale pour noyer les regards. 

  2   Lieu du crime:

Clouzot transposa l'histoire écrite par Boileau et Narcejac dans une institution privée pour garçons: « Elle me donnerait à la fois une atmosphère sinistre et, grâce aux enfants, un univers un peu féerique. » 
Le décor dramatique était choisi. Il fallait trouver le cadre. 
Le Château de L'Etang-La-Ville, dans les Yvelines s'y prêterait à merveille. Chargé d'un lourd passé, encore récent, il avait été laissé à l'abandon.
Après avoir servi de caserne à un régiment allemand sous l'occupation, il allait devenir le théâtre du pensionnat Delasalle. 
Un pensionnat pas vraiment reluisant, aux grilles multiples, extérieures comme intérieures. Grilles, claustras, cloisons ajourées aux croisillons de confessionnal... Les ombres de parallèles dessinent encore ces barreaux. On n'entre pas au pensionnat. On n'en sort pas. Seuls les fantômes et les criminels s'en échappent, sans que personne ne s'en aperçoive. 
 3   L'eau:
    L'eau est partout. Mais elle ne désaltère pas, elle ne rafraîchit pas. Elle noie.   
Au Château, tout s'enfonce dans la vase qui fait disparaître corps, briquet, clé.
Au Château, on roule sur les bateaux de papier, on nourrit les enfants avec du poisson à bas prix, on ordonne leur plongeon dans les eaux troubles.
Mais c'est à Niort que la baignoire se remplit, et se vide.
    L'eau bouillonne et éclabousse lorsque Michel se débat, l'eau fait hurler les tuyauteries comme un appel au secours, pour n'être qu'une nuisance insupportable pour les voisins peu curieux. Du bruit, du bruit, du bruit. Le son a son importance dans la mise en scène. Et c'est peut-être pourquoi la musique n'a pas sa place dans le film, hormis dans le générique de début, chorale macabre, et celui de fin, véritable messe des morts. Brrr!
 
De Niort au pensionnat la malle en osier dégouline, sans pourtant trahir le crime.

 4   Un, deux, trois, qui donc restera?
    Le corps noyé sera noyé une seconde fois. 
Pour disparaître. 
Et réapparaître. 
Est-il vivant? Est-il mort? Est-ce un fantôme? Un mort-vivant? 
   Le cœur de Christina résiste. Celui de Nicole s'emballe.
Qu'en est-il vraiment de  Michel Delasalle? 
    Le rythme devient infernal, sans qu'on puisse imaginer le final.
Valse du surnaturel avec la machination froide et pragmatique.
Valse des certitudes, ou des incertitudes. 
Dirigée de main de maître par Henri-Georges Clouzot.

 5   Distinctions
  • Prix Louis Delluc en 1954.
  • Prix du meilleur film étranger lors des New York Film Critics Circle Awards 1955.
  • Prix Edgar Alan Poe du meilleur film étranger en 1956.


        II.  Anecdotes

     Conscient que son film tirait une grande partie de sa force du coup de théâtre final, Henri-Georges Clouzot fit passer un carton demandant aux spectateurs de ne rien dévoiler du dénouement à leurs proches pour ne pas gâcher leur plaisir. Il réussit aussi un joli coup marketing en exigeant que les portes des salles soient fermées dès le commencement de la séance. 

    "Celle qui n'était plus" de Boileau-Narcejac nourrira l'écriture du film de Clouzot, "Les diaboliques", recueil de nouvelles de Barbey D'Aurevilly lui donnera son titre.  Un titre sans genre, qui n'identifie personne.
 Clouzot souhaitait délibérément se placer sous l'égide de l'écrivain, jusqu'à ouvrir son film par une de ses citations: " Une peinture est toujours assez morale quand elle est tragique et qu'elle donne l'horreur des choses qu'elle retrace" . Cette citation des Diaboliques de Jules Barbey d'Aurevilly, en exergue du film, donne le ton des Diaboliques de Clouzot.

    Pour les besoins d'une scène clé, on raconte que Clouzot obligea Paul Meurisse à rester une journée entière plongé dans une baignoire d'eau froide. L'eau n'aurait pas été si froide et Paul Meurisse aurait été séché et réchauffé à chaque prise. Mais tout de même, la vie d'acteur n'est pas douce tous les jours!

    Les tensions entre Meurisse et Clouzot s'accompagnaient d'une certaine jalousie de l'interprète de Michel Delasalle pour sa partenaire à l'écran. Il trouvait que Véra Clouzot était mauvaise actrice, et le temps que passait Clouzot à soigner les plans où elle apparaissait l'exaspérait. Il n'était peut-être pas le seul... 

    En regardant bien la photo de classe, on repère un jeune figurant juste derrière Simone Signoret. Il n'est autre que Jean-Philippe Smet, devenu le célèbre Johnny Halliday!

        III. L'après "Diaboliques"

    D'origine brésilienne, Véra Clouzot n'est apparue que dans trois films, tous signés de son mari. Reconnut pour son tempérament tyrannique avec son équipe,  celui-ci se montrait aussi exigeant avec elle qu'avec les autres acteurs, n'hésitant pas à la secouer physiquement, à lui hurler dessus ou à lui faire refaire dix-huit prises d'une scène de quelques secondes.
Elle, dont la santé était aussi fragile que celle de Christina Delasalle, succombera à une crise cardiaque 5 ans plus tard, comme son personnage. 

    Hitchcock, qui n'avait pas obtenu les droits de "Celle qui n'était plus", demanda une autre source d'inspiration au duo d'écrivains à suspens. 
Boileau et Narcejac écrivirent "D'entre les morts". Ainsi naquit "Vertigo". 

    Il y eut un remake américain, "Diabolique", en 1985, avec Chazz Palminteri‌ dans le rôle de Michel Delasalle, Sharon Stone en place de Simone Signoret, et Isabelle Adjani pour jouer le rôle de Véra Clouzot.  Le personnage du commissaire joué par Charles Vanel dans l'original est devenu une femme, interprétée par Kathy Bates. Un casting de haut niveau!
Mais une bonne distribution ne suffit pas. Un bon sujet non plus. Et le film de Jeremiah S. Chechik fut loin d'être une réussite.
 
Scénario et mise en scène sont les rênes du cinéma.




Ne manquez pas la 5ème et dernière séance du cycle "Vengeance", "Revenge" de Suzanne Bier (2010), jeudi 19 juin , 20h au Cinéma Royal, à Evian!




dimanche 11 mai 2025

"Les Diaboliques", de Henri-Georges Clouzot (1955) - Cinéma Le France 22 mai 2025

 Quatrième film du cycle "Vengeance", "Les Diaboliques" (1955) d'Henri-Georges Clouzot est une adaptation du roman policier de Boileau-Narcejaq, éponyme et paru aussi sous le titre "Celle qui n'était plus".

    Deux femmes que tout oppose s'unissent dans l'adversité. Elles veulent se venger d'un homme qui les fait trop souffrir, l'une comme l'autre, et qu'elles ne supportent plus. Mais leur rébellion semble se retourner contre elles. Des faits inexpliqués et de plus en plus inquiétants se succèdent, et mettent leurs nerfs à rude épreuve.

  Thriller psychologique frisant le film d'horreur, il tend la corde raide dans un trio infernal. 

    Avec Simone Signoret, en maîtresse déterminée à vaincre son bourreau, Véra Clouzot, en épouse fragile qui veut mettre fin à son calvaire et Paul Meurisse en maître des lieux cruel et démoniaque.

     De retournement en retournement, la valse des tensions nous malmène et nous entraîne dans un vertige hitchcockien. Celui qu'on appelait le Maître du Suspens aurait d'ailleurs bien voulu acquérir les droits du livre avant l'auteur bien français de "L'Enfer", "Le Corbeau", "La Vérité", ou "Le Salaire de la Peur"...

    Qui finalement est le plus diabolique? 


jeudi 24 avril 2025

Le Silencio a aimé: "Lettre d'une inconnue" Max Ophüls, 1948


 

Une jeune femme (Joan Fontaine) tombe amoureuse d'un musicien (Louis Jourdan) et cela va durer 15 ans pendant lesquels il la croise sans la reconnaître. Mufle n'est ce pas.

Joan Fontaine n'est pas filmée mièvrement comme on aurait pu s'y attendre mais de façon quasi-amoureuse par Ophüls et la scène de la rencontre est merveilleuse. Les mouvements de caméra sont aériens notamment dans les scènes de l'opéra.

Le film est en flash-back puisque le musicien reçoit une lettre de cette femme qui vient de mourir (Là, Ophüls charge la barque un peu trop) et il s'aperçoit de cet amour et cela lui ouvre les yeux. Et finalement il monte dans un fiacre pour aller se battre en duel.


A voir de toute urgence. 

Jean-Pierre


Librement adapté de la nouvelle éponyme  de Stefan Zweig (1922).