Le Cinéma Royal d'Évian accueille en avant-première la Palme d'Or 2025 de Cannes : "Un simple accident" de Jafar Panahi
Évian-les-Bains a eu l'honneur d'accueillir une projection exceptionnelle du film "Un simple accident" de Jafar Panahi, Palme d'Or du Festival de Cannes 2025, au cinéma Royal. Cet événement a été rendu possible grâce à Philippe Martin, evianais de naissance et producteur de cinéma (fondateur des Films Pelléas). Prévue pour une sortie nationale le 1er octobre 2025, cette avant-première a offert aux habitants d'Évian le privilège de découvrir le film près de trois mois avant sa sortie officielle.
La salle comble a rassemblé Philippe Martin, Madame Josiane Lei (Maire d'Évian), des représentants du ciné-club "Le Silencio" (président Jean Guillard), et surtout une foule de cinéphiles impatients de découvrir l'œuvre du célèbre cinéaste iranien. (100 spectateurs!)
I. Un cinéaste sous pression, une œuvre clandestine
Philippe Martin a introduit le film en soulignant le parcours mouvementé de Jafar Panahi. Réalisateur de renommée internationale, Panahi a fait face à de nombreuses persécutions en raison de son travail. En 2010, il a été arrêté et condamné à six ans de prison, assortis d'une interdiction de vingt ans d'exercer toute activité artistique, de parler aux journalistes et de voyager. Malgré ces restrictions, il a continué à tourner des films en secret. Ses œuvres ont été saluées par de multiples distinctions, dont un Ours d'Or à Berlin, un Lion d'Or à Venise, et désormais la Palme d'Or à Cannes.
En 2022, Panahi a été de nouveau emprisonné à la prison d'Evin. Cependant, un an après sa libération, toutes ses peines ont été levées, lui permettant à nouveau de voyager et de réaliser des films, même si ces derniers ne sont pas officiellement autorisés par le régime iranien.
II. Un tournage clandestin semé d'embûches
Philippe Martin a accepté de produire le nouveau film de Panahi, dont le financement a été assuré par le réalisateur lui-même avant l'achat des droits par la production après le tournage. Le tournage s'est déroulé dans la plus grande clandestinité. Malgré les précautions, la police a fait irruption sur les lieux, interrompant la production et saisissant la caméra. Heureusement, les rushs, stockés sur un ordinateur non confisqué, ont été épargnés. La caméra a finalement été restituée, sans qu'aucune image n'ait été perdue.
Les acteurs, notamment l'actrice principale, ont subi des interrogatoires prolongés de la part de la police iranienne, qui cherchait à connaître le sujet du film. Toutefois, Jafar Panahi ne fournit jamais de scénario complet à ses acteurs, ce qui leur a permis d'expliquer qu'ils ne connaissaient que les scènes qu'ils avaient tournées. Cette stratégie a contribué à les protéger des pressions du régime.
Le film a été transporté en France en plusieurs fragments par diverses personnes afin d'éviter qu'une seule personne ne détienne la totalité du métrage. Une fois en France, le montage et la post-production ont été finalisés.
III. Échanges avec le public après une projection émouvante
Après la projection, accueillie par de vifs applaudissements, Philippe Martin a volontiers répondu aux questions du public.
Il a précisé que la quasi-totalité du film avait été tournée en Iran. Seule la première scène a dû être filmée dans un garage en France avec un fond vert pour simuler des extérieurs. L'équipe de tournage était très réduite (moins de dix personnes), et la planification se faisait au jour le jour pour minimiser les risques. Jafar Panahi informait son équipe seulement la veille pour le lendemain.
La situation des acteurs reste incertaine. Bien qu'ils n'aient pas rencontré de problèmes majeurs à leur retour en Iran, le risque d'arrestation demeure constant. Malgré leurs visas de voyage, des listes quotidiennes dans les aéroports peuvent les empêcher de quitter le territoire à tout moment.
La distribution du film a été menée dans la plus grande discrétion, le producteur ayant cherché à garder le secret sur le film le plus longtemps possible. Le montage lui-même a été un défi : Panahi réalisait les coupes depuis l'Iran et les envoyait via WhatsApp à un collaborateur en Grèce. Les images étaient ensuite systématiquement détruites du téléphone de Panahi pour éviter toute saisie.
Jafar Panahi est le seul réalisateur vivant à avoir remporté la Palme d'Or à Cannes, un Ours d'Or à Berlin (Taxi Téhéran, 2015) et un Lion d'Or à Venise (Le Cercle, 2000). Il n'a quoiqu'il en soit aucune intention de s'exiler, considérant l'Iran comme son pays.
Le film ne devrait pas être distribué officiellement en Iran en raison de l'absence d'autorisation. Sa diffusion se fera d'abord à l'échelle internationale, puis il circulera (si ce n'est déjà le cas) de manière officieuse via Internet en Iran.
IV. Le rôle du producteur et l'aventure cannoise
Des questions sur le rôle du producteur ont également été abordées. Philippe Martin a expliqué que, s'il lui arrive de suggérer un réalisateur pour un projet, "Un simple accident" est une œuvre entièrement portée par Jafar Panahi. Même le "final cut", un concept plus américain, a réservé une surprise à Philippe Martin, puisque Panahi a choisi de modifier la fin du film au dernier moment. Cet exemple illustre la liberté totale accordée au réalisateur et la confiance du producteur envers son metteur en scène. Pour Philippe Martin, la qualité du réalisateur est primordiale, car un cinéaste talentueux peut transcender un scénario moyen, l'inverse n'étant pas vrai.
Lorsque le film a été sélectionné à Cannes, des coupes supplémentaires étaient nécessaires (le film durait initialement plus de deux heures). Panahi ne voyant pas comment procéder, Philippe Martin a fait appel à une monteuse de renom (Juliette Welling, fidèle de Jacques Audiard) qui a réussi à raccourcir l'œuvre d'environ 20 minutes sans en compromettre l'intégrité. La durée finale est de 1h42, et aucune version longue ne sera proposée.
La présentation du film à Cannes a représenté un travail d'organisation colossal pour Philippe Martin, une tâche de presque trois mois condensée en deux jours. Chaque détail est minuté : la montée des marches, les interviews, la projection etc. Les retours de la critique internationale sont quasi immédiats : une demi-heure après la projection, Philippe Martin savait que le film avait été très bien reçu, suscitant l'intérêt des distributeurs. La projection du soir, destinée au public, est tout aussi cruciale, car elle valide l'accueil du film par les spectateurs. Philippe Martin a témoigné de films présentés à Cannes qui ne génèrent pas les réactions attendues, une épreuve difficile pour les équipes. Ce ne fut heureusement et evidemment pas le cas pour "Un simple accident".
Jafar Panahi a pu se rendre à Cannes avec le reste de l'équipe. Il a été souligné qu'il n'existe pas d'influence réelle possible sur le jury de Cannes. Cependant, la présence de Juliette Binoche, en tant que présidente du jury, très sensible à la situation en Iran et aux défis rencontrés par les réalisateurs iraniens, était un signe positif. L'attente de la délibération finale est toujours un moment d'intense angoisse : même si un prix est annoncé, la nature exacte de la récompense reste inconnue, et une Palme d'Or fait une différence majeure comparé à un Prix du Jury, par exemple.
Après Cannes, Panahi a présenté son film à Sydney avant de finalement rentrer en Iran fin juin / début juillet 2025. La question de savoir si le film poursuivra sa carrière avec une sélection aux Oscars reste ouverte, ce qui impliquerait une gestion très différente de celle du Festival de Cannes.